Effets des deux interventions sur le fonctionnement cérébral dans le contexte d'un apprentissage nécessitant du recyclage neuronal
/Brault Foisy, L.-M. (2020). Effets des deux interventions sur le fonctionnement cérébral dans le contexte d'un apprentissage nécessitant du recyclage neuronal (Thèse de doctorat), Université du Québec à Montréal, Canada. url: https://archipel.uqam.ca/15260/
RÉSUMÉ : Pour apprendre à lire, les neurones de la région occipito-temporale gauche du cerveau doivent se « recycler », c’est-à-dire reconfigurer considérablement leurs connexions afin d’accueillir la capacité à reconnaître les mots écrits. Or, peu de recherches se sont penchées sur le rôle de l’enseignement dans la mise en place de ce processus de recyclage neuronal. Cette recherche a pour objectif principal de vérifier si des interventions distinctes visant l’apprentissage de la lecture de mots peuvent avoir un impact différent sur le fonctionnement cérébral et sur la mise en place du recyclage neuronal en s’intéressant plus spécifiquement à la spécialisation fonctionnelle de la région occipito-temporale gauche.
Pour ce faire, deux groupes d’élèves non lecteurs de niveau préscolaire ont chacun pris part à une intervention pédagogique différente. Les interventions visaient toutes deux à apprendre à lire une liste de 20 mots. Elles se différenciaient quant à l’unité d’analyse du mot sur laquelle l’attention était dirigée : l’intervention « phonologique » dirigeait l’attention des élèves vers les correspondances graphèmes-phonèmes et l’intervention « globale » dirigeait leur attention vers la forme entière du mot. Des images de l’activité cérébrale des participants ont été prises en prétest et en posttest à l’aide de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) alors qu’ils réalisaient une tâche dans laquelle on leur demandait de lire des mots pour lesquels ils s’étaient entraînés durant l’intervention ainsi que des mots nouveaux (non entraînés). Cela a permis de comparer la performance à la tâche de lecture ainsi l’activité cérébrale des deux groupes (phonologique et global) durant la lecture des mots, au posttest comparativement au prétest. Notre hypothèse était qu’une intervention pédagogique de nature phonologique aurait pour effet de faciliter davantage la spécialisation de la région occipito-temporale gauche, comparativement à une intervention globale. Dans le cadre d’une tâche cognitive en lecture, une confirmation de cette hypothèse se traduirait opérationnellement par une plus grande activation cérébrale dans l’hémisphère gauche du cerveau, plus précisément dans la région occipito-temporale gauche liée à l’expertise en lecture, chez les participants du groupe phonologique.
Les résultats comportementaux montrent que les deux interventions sont associées à une performance significativement plus élevée au posttest pour les mots entraînés. L’intervention phonologique est également associée à une améliorationsignificativement plus importante de la performance en lecture pour les mots nouveaux entre le prétest et le posttest, comparativement à l’intervention globale. Sur le plan cérébral, les résultats indiquent toutefois que ce sont les participants du groupe global qui présentent une activité cérébrale significativement plus importante dans une région de l’hémisphère gauche située à la frontière du cortex occipito-temporal et du cortex extrastrié en posttest, comparativement au prétest, lors de la lecture des mots nouveaux. Aucune différence significative d’activité cérébrale n’est observée pour les mots entraînés, lorsque l’on compare les deux moments de mesure entre les deux groupes.
Nous avançons que la différence d’activité cérébrale observée en faveur du groupe global serait possiblement le reflet d’un début d’apprentissage des correspondances graphèmes-phonèmes que les participants auraient découvert de manière implicite à force d’être exposés de manière répétée aux mots écrits. Dans le contexte de la lecture des mots nouveaux, les participants du groupe global auraient donc possiblement recours à cette stratégie précaire de décodage afin de tenter de lire les mots, ce qui se refléterait par une activation plus grande dans la région du cortex occipito- temporal/extrastrié gauche. Ce début d’apprentissage des correspondances serait donc potentiellement associé à une amorce de recyclage neuronal dans la région d’intérêt. Nous croyons également qu’il est possible que le groupe phonologique ait très fortement automatisé les correspondances graphèmes-phonèmes, de sorte que la reconnaissance des mots dans le cadre de la tâche de lecture se fasse de manière quasi instantanée, sans avoir réellement besoin de continuer à porter une grande attention aux correspondances entre les graphèmes et les phonèmes. Ces pistes d’interprétation demeurent néanmoins fragiles et doivent être envisagées avec prudence compte tenu que les résultats cérébraux ont été observés à un seuil non-corrigé.
Cette recherche représente un pas de plus vers une meilleure compréhension de la relation entre l’enseignement et le fonctionnement cérébral. Sur le plan pédagogique, il semble qu’il soit pertinent de maximiser l’exposition aux mots écrits en début d’apprentissage de la lecture, car le cerveau semble être en mesure, à force de répétition, de détecter certaines régularités et de créer des associations entre les lettres et les sons. Cependant, les résultats comportementaux semblent indiquer que cette exposition ne serait possiblement pas suffisante à elle seule pour que l’enfant parvienne à automatiser les correspondances et à lire de façon autonome des mots qui ne lui auraient pas été enseignés. Un enseignement explicite et systématique de la relation entre les lettres et les sons semble en ce sens permettre d’automatiser davantage les correspondances graphèmes-phonèmes et de lire de manière plus autonome des mots nouveaux. Les résultats de ce projet mènent à envisager des pistes de recherches futures visant à étudier la relation entre l’enseignement et d’autres apprentissages scolaires nécessitant la mise en place du recyclage neuronal, ce qui permettrait ultimement une réflexion pédagogique dont la portée serait plus grande.